Fémi(ni)cides
dire pour agir ?
Selon la Délégation aux victimes, une femme meurt tous les trois jours tuée par son conjoint ou ex-conjoint, recensant un total de 121 victimes pour l'année 2018. Pourtant, pour la même année, l’étude Psytel met en avant un chiffre bien supérieur : 338 femmes victimes de féminicide intime. D’après ce comptage, c’est près d’une femme qui meurt tous les jours en France des suites de violence conjugale. Quel que soit le chiffre pris en compte, il y a consensus sur la nécessité de le réduire.
Trois constats s’imposent :
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La variation des méthodologies de comptage et les résultats qui en découlent impliquent et s’appuient sur des définitions différentes.
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En France, la controverse se concentre sur un type de féminicide particulier : le féminicide intime, soit le meurtre d’une femme commis par son conjoint ou son ex-conjoint.
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Un meurtre implique un auteur et une victime, et la quantification des féminicides se concentre sur le nombre de victimes sans mentionner le nombre d’auteurs.
Dès lors, il est nécessaire de montrer l’interdépendance des questions de quantification et de qualification, en les abordant du point de vue des victimes et du point de vue des auteurs. Tout en s’appuyant sur les différents domaines de recherche mobilisés : droit, psychologie, psychiatrie, sociologie, études de genre, sciences politiques.
Faut-il employer le terme « féminicide », ou parler de « mort violente au sein du couple » ? Dans quelles situations l’employer ? Sa définition-même est fluctuante. D’une discipline, d’un pays et d’une époque à l’autre, il divise au sein des institutions, expertises et associations. Il s’agit de décider ce que recouvre ou non le féminicide : doit-on le référer à l’expression du système patriarcal ? Doit-il se concentrer sur les morts au sein d’une relation conjugale, au risque de mettre de côté certains cas ? Faut-il, et le cas échéant, comment intégrer la notion de « suicide forcé » ?
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338
ou
victimes ?
« Meurtre d'une femme en raison de son genre »
Les récents mouvements et actions militantes et politiques ont notamment mené au Grenelle contre les violences faites aux femmes, fin 2019. En particulier, la présence politique et médiatique que connaît le féminicide intime pousse à interroger le lien du féminicide par rapport aux violences conjugales. Constitue-t-il nécessairement « l’apogée » d’un continuum de violences ? Et surtout, comment comprendre le processus qui mène à ces crimes quand les victimes ne sont précisément plus là pour en témoigner ?
Il pose également la question de l’introduction du terme dans le code pénal, loin de faire l’unanimité. Selon les positionnements, le féminicide est une notion symbolique à intégrer dans le droit pour ancrer une prise de conscience collective, un outil pour mieux défendre les femmes contre des violences spécifiques, ou une potentielle atteinte au droit. Le mot semble ainsi concentrer les espoirs des militantes féministes et familles des victimes, en même temps qu’il provoque la crainte d’une dérive du côté de certain.e.s magistrat.e.s, juristes, et politiques.
Au-delà de comprendre ce que signifie le meurtre d’une femme « au motif qu’elle est une femme », l’enjeu est de saisir en quoi le féminicide permet de redéfinir les catégories en vigueur, quels que soient les domaines d’expertise mobilisés. Et, plus concrètement encore, définir et employer le mot « féminicide » est-il un moyen nécessaire pour lutter contre les phénomènes qu’il recouvre ?