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Ancre 1

Une femme meurt
tous les (trois) jours

Comment compter

Comment compter les féminicides ?

« Un décès criminel survient au sein du couple tous les deux jours et demi et une femme décède sous les coups de son partenaire ou de son ex-partenaire tous les trois jours. »

Délégation aux Victimes, communiqué du 10 juillet 2019

Avant de voir émerger des « comptages de féminicides », la France comptait ses « victimes de violences conjugales », chiffrées par le Ministère de l’Intérieur. Ce comptage annuel officiel, réalisé par la Délégation aux victimes depuis 2006 se veut être une étude sur les morts violentes au sein du couple en France recensées sur une année civile.
« Un décès criminel survient au sein du couple tous les deux jours et demi et une femme décède sous les coups de son partenaire ou de son ex-partenaire tous les trois jours. » peut-on lire dans le communiqué du 10 juillet 2019. Un second comptage officiel, celui de l’ONDRP, Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales, conçoit et exploite avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) l’enquête nationale de victimation « Cadre de vie et sécurité ». L’observatoire publie également des études sur les femmes victimes d’homicide, la dernière en date sur le sujet à l’heure où nous écrivons ces lignes étant la
note n°42, de janvier 2020. 

« Autre phrase fausse : tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon. Nous devrions la rayer de nos formules toutes faites. Ces femmes ne meurent pas sous les coups. Elles sont tuées. Parfois elles sont battues à mort, mais pas toujours. Outre que cette phrase passe sous silence l’intention meurtrière, elle invisibilise l’étendue du phénomène en ne prenant pas en compte les survivantes. La réalité c’est que presque tous les jours, en France, un homme tente de tuer sa compagne ou ex-compagne. »

Titiou Lecoq, Libération, 2019

En parallèle de ces comptages officiels se sont dressés plusieurs initiatives de comptages indépendants ont vu le jour, chacune avec sa propre méthode. En 2016, le collectif Féminicides par compagnon ou ex s’est lancé dans la répertorisation du nombre de victimes de ces violences et le collectif très suivi #NousToutes relaye ses chiffres au jour le jour depuis 2018, sur les réseaux sociaux. En 2017, c’est Titiou Lecoq, journaliste chez Libération, qui décide de recenser les « meurtres conjugaux », en proposant un site internet relayant l’histoire de chacune des victimes. Elle passe le flambeau à Virginie Ballet en 2019, qui s’occupe aujourd’hui d’actualiser ce recensement.

L’Agence France Presse propose elle aussi, depuis novembre 2019, une présentation des cas de féminicides en France qu’elle a pu vérifier.
Elle rend visible l’histoire de chacune des femmes victimes sur son site Factuel et propose en parallèle depuis 2020 un site d’analyse des données collectées pour l’année 2019 sur son site Une femme tous les trois jours.

Si ces comptages ont tous pour but de recenser morts violentes
des femmes, ils divergent quant à leurs critères de reconnaissance, 
leurs méthodes, leur fréquence de publication et par conséquent
leurs résultats.

Les différents comptages

Les diff. comptages
officels

Comptage officiels

La Délégation aux Victimes s’appuie sur les télégrammes et synthèses de police judiciaire ainsi que sur les articles parus dans la presse nationale et régionale, croisés avec les données détenues par le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et issues de rédaction des procédures de la police et de la gendarmerie nationales. Son rapport annuel présente les morts violentes ayant pour auteurs des hommes et des femmes, et ayant pour victimes des hommes et des femmes. Il ne traite pas des féminicides, et le terme n’est jamais évoqué dans l’enquête. Les affaires sont vérifiées individuellement auprès des services locaux de police et de gendarmerie. Cette procédure nécessite plusieurs mois pour déterminer la véritable qualification pénale des faits révélés, et n’est publiée qu’un an après l’année étudiée. Les principales infractions relevées dans ces études sont les assassinats, meurtres, empoisonnements et violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, dès lors qu’elles sont commises à l’encontre d’un partenaire de vie ou ancien partenaire de vie. Ainsi, lorsque la DAV recense 149 morts violentes au sein du couple en 2018, 121 victimes sont des femmes. Sur ces 121 morts violentes dénombrés, 26 sont qualifiées en assassinats (avec préméditation), 85 en meurtres et 10 en violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L’enquête comptabilise les suicides altruistes, lorsque le.a conjoint.e est tué.e à cause d’une maladie ou de la vieillesse, mais ne retient pas les cas de suicides forcés, défendus par des professionnelles comme l’avocate 

Yael Mellul et la juriste Catherine le Magueresse.

Le bilan de l’ONDRP, en étudiant uniquement les morts liées à un homicide, dont la définition internationale est établie par l’ONUDC, leur bilan pour l’année 2018 atteint les 255 femmes victimes, un nombre diminuant de 4% en moyenne par année, selon l'observatoire. Ces différents homicides sont classés selon plusieurs types, le meurtre à 66%, l’assassinat à 15%, l’empoisonnement à 4%, les violences ayant entraîné la mort sans intention à 11% et une catégorie autre à 4%. Pour 34% de ces femmes victimes, leur conjoint est suspecté d’en être l’auteur, et pour 22% un membre de la famille est suspecté. La différence de résultat des deux comptages officiels est donc justifiée et explicitée à la fin de la lettre : « La DAV du Ministère de l’intérieur mène une étude sur les morts violentes au sein du couple à partir des messages d’information statistique ou télégrammes opérationnels transmis par la gendarmerie et la police. Cette méthode de collecte peut expliquer la différence entre les données du SSMSI et celles de la DAV ».

Comptage non-officiels

Non-officiels

Féminicides Par Compagnons ou Ex, est un collectif composé de bénévoles qui recense au jour le jour des féminicides conjugaux ayant lieu en France, incluant les « suicides altruistes ». Son travail s’appuie sur une revue de presse quotidienne, sur papier et en ligne, grâce aux moteurs de recherche permettant une mise à jour en « quasi direct » de ses chiffres. Via les réseaux sociaux, ce compteur mis à jour en « temps réel » est cité par de nombreux médias, et relayé par le collectif #NousToutes qui l’a rendu d’autant plus populaire. Le collectif Féminicides par Compagnons ou Ex propose en ligne une cartographie annuelle des victimes de féminicide en France, décrivant les conditions du décès de chaque femme disparue.

Par une même démarche de revue de presse nationale et locale, Titiou Lecoq et Virginie Ballet procèdent elles aussi à une cartographie des femmes victimes d’une mort violente (n’utilisant jamais le terme de féminicide), avec un délai plus large. Dans leur méthode elles n’incluent cependant pas les « suicides altruistes » comptabilisés par les collectifs cités plus tôt, ni les cas de femmes ayant survécu à une tentative de « meurtre conjugal ». La mention des co-victimes (enfant.s, amant, nouveau conjoint, entourage) fait aussi partie de leur travail. 

« L’enquête met en avant les mobiles des féminicides mais aussi leur mode opératoire, révélant la prédominance de l’utilisation d’armes, blanches ou à feu, les coups n’arrivant qu’à la troisième position des moyens employés par les auteurs de féminicides. »

Selon l'enquête de l'Agence France Presse

L’AFP aussi possède son propre comptage de féminicide via son site de fact-cheking Factuel, ayant pour but d’étudier les affaires de l’année en cours. Ce site consiste en une deuxième étude des cas recensés par le collectif Féminicides par Compagnons ou Ex, en ayant contact avec les services de police et gendarmerie, magistrat.es, avocat.es, maires ou proches des victimes et auteurs. Cette méthodologie, plus longue dans le temps que le comptage de Féminicides par Compagnons ou Ex, rend dans les résultats un écart d’une vingtaine de cas en moins entre l’AFP et le comptage du collectif. Parmi cette vingtaine de cas, une moitié  est « en attente », n’ayant pas encore pu être qualifiés de féminicides, et l’autre moitié n’est pas considérée comme des cas de féminicides, révélant une mort naturelle, ou excluant la relation intime entre l’auteur et la victime.

 

Concernant la question des « suicides altruistes », lorsque la conjointe est tuée à cause d’une maladie ou de la vieillesse, les journalistes de l'AFP comptent ces cas comme des féminicides, comme le font aussi les autorités, sauf dans les cas où la volonté partagée de mourir a été prouvée. Les cas retenus par le collectif et écartés par l’AFP sont consultables sur leur site internet.


Son site Une femme tous les trois jours, est quant à lui dédié à l’analyse des données de l’année 2019. La partie méthodologie explicite sa définition des féminicides : l’AFP n'étudie que les cas de féminicides par conjoint c’est à dire où « la responsabilité directe de l’homme dans le décès de la victime et l’existence d’une relation intime en cours ou passée entre eux sont avérées ou sont la piste privilégiée par les enquêteurs. » L’enquête met en avant les mobiles des féminicides mais aussi leur mode opératoire, révélant la prédominance de l’utilisation d’armes, blanches ou à feu, les coups n’arrivant qu’en troisième position des moyens employés par les auteurs de féminicides. L’analyse des victimes témoigne aussi de la multiplicité de profils féminins, de tout âge, de toute profession. Les violences antérieures y sont aussi recensées.

Résultats comparés

Résultats comparés

Par leurs différentes méthodologies incluant ou non certains cas, les résultats de ces comptages diffèrent. Pour l’année 2018, alors que la DAV présente un nombre de femmes victimes de morts violentes au sein du couple à 121 au total, le compteur de Féminicides par compagnons ou ex et NousToutes retient un total de 120 victimes.
Titiou Lecoq et Virginie Ballet comptent quant à elles 107 meurtres conjugaux de femmes pour la même année. Ces écarts peuvent être justifiés par les divergences de cas retenus dans chacune des études. Par exemple, le 6 juillet 2018, Rose I. et Junior N. ont chuté du 7e étage d’une tour, à Evreux, provoquant la mort de Rose, mais pas celle de Junior.
« Des témoins disent que Junior a poussé Rose. D’autres affirment avoir vu Junior tenter de la retenir, avant d’être emporté par sa chute. Seule certitude, Junior était violent avec Rose. Il avait été condamné quelques mois auparavant pour des violences sur sa compagne. Plus d’un an après, il n’a pas été mis en examen. » Le collectif Comptage féminicide par compagnon ou ex a inclus cette affaire dans son décompte, ce qui n’est pas le cas de la DAV. Concernant l’année 2019, la différence de résultat est plus creusée. Le comptage de Féminicide par compagnon ou ex dresse un bilan de 151 femmes victimes, 149 relayées par NousToutes, tandis que l’AFP en reconnaît au moins 126 confirmées. Le chiffre de 116 victimes est soutenu par Titiou Lecoq et Virginie Ballet. Il faudra attendre au moins l’été 2020 pour obtenir un comptage officiel de la part de la Délégation aux Victimes.

Certains des comptages et rapports font aussi un recensement des violences antérieures aux morts violentes. Pour l’année 2019, l’AFP déclare que 27,9% des cas ont été précédés de violences au sein du couple, contre 46,7% ne présentant aucun signe officiel de violences, et 25,4% dont les données restent inconnues. La Délégation aux victimes recense elle aussi l’existence de violences antérieures au sein du couple, retenant les violences physiques, sexuelles et psychologiques, enregistrées par les enquêteurs avant la commission des faits, par des plaintes, main-courantes, interventions à domicile, procédures judiciaires antérieures, ou révélées par des témoignages recueillis après la commission de l’homicide. Ainsi, pour l’année 2018, sur les 121 femmes recensées, 47 victimes avaient subi antérieurement au moins une forme de violences, majoritairement physiques. Le rapport de la DAV met aussi en lumière le fait que depuis 2015, sur 31 femmes autrices d’homicide au sein du couple, 15 d’entre elles avaient déjà été victimes de violences de la part de leur partenaire, soit 48,4%.

 

Le mobile de l’auteur de la mort violente fait aussi partie de différents rapports, et sa typologie est variable. Dans son rapport, l’AFP identifie la raison ayant poussé à l’action à 22,1% pour cause de séparation, 16,4% pour cause de dispute, 13,9% par jalousie, 12,3% des cas n’ont pas d’explication ou sont niés par l’auteur, 10,7% sont engendrés pour cause de maladie ou de vieillesse, 1,6% pour d’autres mobiles et 23% des cas ont été réalisés pour des raisons inconnues. Cette typologie est un peu plus complexe chez la Délégation aux victimes, identifiant des catégories supplémentaires aux mobiles des auteurs. Pour l’année 2018, la dispute était la principale cause du passage à l’acte, avec 43 cas, suivie du refus de la séparation (en cours ou passée) pour 28 cas, la maladie ou la vieillesse de la victime pour 16 cas, les problèmes psychiatriques ou la dépression pour 9 des cas, la jalousie pour 8 cas, les causes multiples pour 5 cas, la maladie ou la vieillesse de l’auteur et les difficultés financières pour 1 cas, et 7 cas demeurent sans mobile déterminé. Une catégorie supplémentaire existe pour les mobiles des femmes ayant tué leur mari : celui d’être victime de violences, ayant motivé deux cas sur les 28 recensés.

Difficulté d comptage

Les difficultés du comptage

La difficulté du recensement des féminicides réside dans le fait même de ses définitions diverses et donc de la qualification de ses victimes. Ces variables provoquent alors un écart dans les résultats présentés. Cependant, nous avons pu le remarquer, la plupart des comptages, hormis celui de l’ONDRP, se concentrent sur les morts violentes ayant lieu dans le cadre de la relation intime, vers ce qui pourrait être considéré comme des féminicides intimes. Or, les définitions que nous avons pu étudier dans notre partie « définir les féminicides » montrent que les femmes peuvent être tuées en raison du fait qu’elles sont des femmes, en dehors du cadre conjugal.

« La sociologue Berenice Bento met en lumière ce crime de haine des personnes transgenre en proposant le terme de transféminicide, au sens que l’origine de ces violences découle du genre, au même titre que l’origine du féminicide. »

Par exemple il n’est pas précisé dans l’ensemble de ces études si des femmes transexuelles ont pu être considérées comme victimes, comme l’ONU Femme France le souhaiterait. C’est pourtant le cas par exemple en Colombie où l’assassinat d’Anyela née Luis Angel Ramon, ayant eu lieu le 7 février 2017, a été jugé comme un féminicide par la juge Catalina Manrique. Cette catégorie de victime pose cependant plusieurs difficultés.

 

Pour Margot Giacinti, Doctorante en sciences politique à l’ENS de Lyon, préparant actuellement une thèse sur le sujet du féminicide, intitulée provisoirement Le féminicide : enjeux socio-historiques d’une catégorisation juridique dans l’espace francophone, de la Révolution française à nos jours, « il y a une réelle difficulté à comptabiliser ces femmes, même si une de leurs vulnérabilités est justement d’être perçues comme femmes, mais pas comme des femmes rentrant dans les normes de la féminité classique. Pour moi, il y a vraiment un problème dans la lecture de ce phénomène. Si les définitions excluent les femmes trans, on n’est alors plus dans la dimension que Russell et Radford défendaient en 1992. »

Selon Catherine le Magueresse, le motif d’un meurtre d’homme trans ou de femme trans peut résider dans plusieurs motifs : en raison de la trahison de leur sexe biologique, ou en raison de leur qualité de personne trans, homme ou femme. Le crime sur les personnes trans mériterait donc, selon la juriste, une appellation spécifique. La sociologue Berenice Bento met d’ailleurs en lumière ce crime de haine très présent en Amérique latine en proposant le terme de transféminicide, au sens que l’origine de ces violences découle du genre, au même titre que l’origine du féminicide, le Brésil étant le pays le plus touché par ces morts violentes. Pour Berenice Bento, la mort des femmes trans est une expression hyperbolique de la place du féminin dans la société, le féminin représentant ce qui est dévalorisé socialement. La sociologue caractérise alors le tansféminicide par six occurrences : la motivation de l’assassinat réside dans le genre et non dans la sexualité de la victime (la personne étant assassinée non pas seulement parce qu’elle rompt ses liens avec son sexe biologique, mais parce qu’elle le fait publiquement), la mort est ritualisée et témoigne d’une violence acharnée, il y a une absence de poursuites pénales, il y a aussi une absence de deuil ou de mélancolie ressentie de la part des familles qui ne réclament que rarement les corps, l’identité de genre n’est pas respectée à la mort de la victime, et les meurtres ont principalement lieu la nuit dans des rues désertes. Pour Berenice Bento, la principale fonction sociale de ce type de violence relève du spectaculaire et de l’exemple.

« Si on s’arrête sur une définition qui inclut
la vulnérabilité structurelle, on est obligé d’y faire entrer les femmes travailleuses du sexe. »

Margot Giacinti

Cet état de meurtre à titre d’exemple n’est pas sans rappeler notre entretien avec Catherine Le Magueresse, au sujet des femmes en situation de prostitution dont certaines sont « sacrifiées sur l’autel » par des proxénètes lorsqu’elles menacent de quitter leur réseau, à titre de rappel à l’ordre pour toutes les autres. Pour la juriste, la prostitution est un des signes les plus évidents de la haine des femmes. Leur meurtre est donc un féminicide.

Margot Giacinti tire de son travail trois constats historiques concernant les femmes en situation de prostitution : « 1, les travailleuses du sexe sont sur-représentées dans les victimes de féminicides ; 2, elles sont sur-invisibilisées du fait de leur statut ; 3, les accusés qui tuent des femmes en situation de prostitution ne risquent généralement pas grand chose. Et j’ai l’impression que ces trois constats se maintiennent, jusqu’à l’heure actuelle. »

Parmi les victimes de féminicide en dehors de la relation intime figurent aussi les femmes sans domicile fixe. Ces deux catégories de femmes ne sont pas comptabilisées dans les comptages que nous avons étudiés.

Suicde forcé

Qu'en est-il du comptage

des « suicides forcés » ?

Un autre type de victime n’est pas recensé automatiquement dans les comptages que nous avons pu citer plus tôt : les victimes de suicide forcé. Pour Yael Mellul, juriste à l’origine de l’introduction dans le Code pénal du délit de violence conjugale à caractère psychologique (loi du 9 juillet 2010), le suicide forcé réside dans l’aboutissement des violences psychologiques exercées sur une victime. La juriste avait poursuivi Bertrand Cantat en justice en 2014 pour le suicide forcé de son épouse Krisztina Rády, permettant de faire émerger ce terme dans l’opinion publique. La plainte avait été classée sans suite. Le groupe de travail sur les violences psychologiques et l’emprise, s’étant tenu lors du Grenelle sur les violences faites au femmes à l’automne 2019, dont Yael Mellul a fait partie, plaide pour ajouter une circonstance aggravante en cas de suicide ou de tentative de suicide.

Les violences psychologiques dans le cadre d’un couple sont définies comme étant des actions de contrôle, d’autorité, de dénigrement et de mépris de la part d’un.e conjoint.e sur sa ou son partenaire. Elles sont fondées sur une relation de pouvoir asymétrique au sein du couple, et peut, selon Carine Burricand et Lucile Jamet de la division Conditions de vie des ménages de l’INSEE, être un préalable à la violence physique et/ou se combiner avec celle-ci.

L’étude de ce type de violence a été initiée en 2000 par l’enquête ENVEFF, révélant les premiers chiffres de 37% de victimes sur un échantillon de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans, résidant en métropole et vivant hors institutions. Les enquêtes Cadre de vie et sécurité (CVS) de 2014 et 2015 relèvent quant à elles un chiffre de 12,7% de femmes (âgées de 18 à 75 ans) déclarant avoir subi des violences verbales et psychologiques de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.

L’enquête Violences et rapports de genre : contextes et conséquences des violences subies par les femmes et les hommes, dite enquête Virage, apporte un nouvel éclairage sur ces violences. Cette étude menée en 2015 a tenté de mesurer l’ampleur des violences (insultes, faits psychologiques, physiques et sexuelles) subies auprès de 27 268 femmes et hommes âgés de 20 à 69 ans. En ressort un chiffre de 17,9% de femmes en couple ou récemment séparées (ayant eu une relation de couple qui a duré au moins 4 mois pendant les 12 derniers mois) déclarant avoir subi des violences psychologiques, 1,3% des violences physiques et 0,3% des violences sexuelles (il est important de prendre en compte que plusieurs types violences peuvent se cumuler). L’étude met en avant les conséquences de ces violences : « Parmi les femmes qui ont déclaré avoir subi des faits de violence psychologique dans les 12 derniers mois, 22,3 % ont aussi répondu avoir eu à plusieurs reprises des idées noires, pensé qu’il vaudrait mieux être morte, ou pensé à se faire du mal, au cours des deux dernières semaines (versus 14,5 % de celles qui n’ont pas déclaré de violences psychologiques). Plus d’une femme sur 200 (0,6 %) ayant rapporté des faits de violence psychologique déclare avoir fait une tentative de suicide dans les 12 derniers mois soit quatre fois plus que les femmes ne déclarant pas de violence (0,15 %) ».

Les études portant sur le suicide forcé, lié aux violences au sein du couple, sont rares. L’évaluation de son nombre de victimes est donc compliqué à élaborer. L’enquête de Sylvia Walby (Université de Leeds - UK) réalisée en 2004 et nommée The cost of domestic violence établissait pour les 1 497 décès de femmes par suicide enregistrés en 2000 le nombre de 188 cas imputables directement aux violences au sein du couple, soit 12,5 %. L’étude Psytel menée en 2008 établit quand à elle 13 % de suicides en lien direct avec ces violences. Plus récemment, en janvier 2019, le département d’épidémiologie (Sabrina Brown et Jacqueline Seals) de l’Université du Kentucky (USA) a publié une étude ayant pour but de déterminer le pourcentage de suicides dans le Kentucky entre 2005 et 2015, ayant pu être liés à des problèmes de violences entre la victime et son partenaire intime. Bien que cette étude ne distingue pas les sexes des victimes et ne rende pas possible la détermination d’un nombre de victimes féminines, il en résulte que dans 11 % des suicides étudiés, la violence du partenaire intime a contribué du suicide.

L’inclusion du suicide forcé fait donc passer la moyenne de femmes mortes des suites de violence conjugale à plus d’une par jour, et non plus à une tous les trois jours. 

Selon les chiffres résultants de l'étude Psytel pour l'année 2018 et le groupe de travail 

sur les violences psychologiques au sein du couple, dans le cadre du Grenelle de 2019.

Malgré le peu de données chiffrées existantes, ces quelques études convergent vers une estimation autour de 12% de suicides forcés dans le cadre d’une relation intime. C’est ce chiffre qui a été utilisé pour les estimations du groupe de travail sur les violences psychologiques au sein du couple, dans le cadre du Grenelle de l’automne 2019. Selon le rapport Psytel, pour l’année 2018, 217 femmes se seraient donné la mort en raison des violences subies par leur conjoint. En incluant le suicides forcés pour l’année 2018, le groupe de travail estimait à 338 le nombre de femmes victimes de féminicide. L’inclusion du suicide forcé fait donc passer la moyenne de femmes mortes des suites de violence conjugale à plus d’une par jour, et non plus à une tous les trois jours. En résulte la proposition du groupe de travail dont Yael Mellul a fait partie : « Créer une incrimination du suicide forcé et inclure systématiquement le chiffrage estimé des suicides forcés de femmes dans les publications concernant les décès des victimes de violences au sein du couple ».

Pour conclure

Nous avons pu voir à travers l’étude de toutes ces méthodologies de comptages qu’un comptage officiel de féminicide ne peut pas exister tant que les limites de sa définition ne sont pas dessinées. Pour Catherine Le Magueresse, tant que l’incrimination spécifique du féminicide n’est pas créée, on ne peut pas la comptabiliser. Une catégorisation pénale pourrait être un moyen, selon plusieurs spécialistes, de permettre une définition précise du cadre des victimes. Cependant, l’introduction du féminicide dans le code pénal représente un haut sujet de controverse.

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