La question de l’introduction
(ou non) d’un crime de féminicide dans le Code pénal français
L’introduction, ou non, du féminicide dans le Code pénal, en tant qu’incrimination autonome par rapport à celle du meurtre, est certainement la question qui divise le plus les acteurs de la controverse.
L’un des arguments les plus mobilisés lors des débats sur le sujet est le concept d’« universalisme du droit », qui tient son assise dans l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui proclame l’égalité de tous devant la loi : « La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » La DDHC ayant valeur constitutionnelle, elle se place au sommet de la hiérarchie des normes, ce qui signifie qu’elle ne peut pas être contredite par la loi. Par définition, ce principe d’égalité s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes, aux auteurs qu’aux victimes, et n’est pas propre à la problématique des féminicides. Il suppose une protection égale par la loi de toutes les victimes et un traitement égalitaire pour les auteurs (ce qui ne signifie pas que les peines ne peuvent pas être individualisées).
« La loi doit être la même pour tous,
soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités,
places et emplois publics, selon leur capacité,
et sans autre distinction que celle de leurs
vertus et de leurs talents. »
Article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, 1789
Pour de nombreux.ses acteur.ice.s de la controverse, cela implique qu’une loi future qui introduirait le féminicide en tant qu’incrimination autonome au sein du Code pénal briserait l’universalisme du droit en distinguant le meurtre d’une femme de celui d’un homme, et serait donc inconstitutionnelle. C’est le cas de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la CNCDH (« risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et (de) méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime »), de l’Union syndicale des Magistrats (« Ce principe d’égalité devant la loi s’oppose à ce que les crimes soient « genrés » et les victimes doivent donc être désignées de manière neutre mais universelle », Céline Parisot), ainsi que de Clarisse Serre, avocate, etc. Il s’agit là d’une question purement juridique, à détacher des considérations militantes, selon Yaël Mellul dans notre entretien avec elle. A cet argument de l’universalisme, Catherine Le Magueresse oppose la possibilité pour la loi de distinguer des situations qui sont différentes, et sans que cela n’affecte le principe d’égalité devant la loi : le caractère qui se manifeste dans les cas de féminicides est un élément qui permet de distinguer ce crime du meurtre. L’argument de l’universalisme du droit pour justifier une opposition à l’introduction du crime de féminicide dans le Code pénal serait selon elle l’expression d’une sorte de « refus d’interroger le droit par rapport aux questions actuelles ».
Le droit pénal revêt en effet trois fonctions essentielles : une fonction répressive, qui s’exprime par la condamnation des individus qui en ont enfreint les règles, une fonction expressive, puisque des interdits posés par le Code pénal transparaissent les valeurs de la société, et enfin, une fonction protectrice, pour les victimes, de manière préventive, mais aussi et surtout pour les auteurs, qui ne peuvent être poursuivis ou condamnés arbitrairement. Dans le cadre des violences faites aux femmes, et a fortiori, du féminicide, on retrouve chacune de ces 3 fonctions : le meurtre est réprimé par le Code pénal qui prévoit la condamnation des auteurs (fonction répressive), en condamnant ces violences, sous une forme ou sous une autre (avec ou sans incrimination spécifique), la société affirme ses valeurs, et notamment la volonté d’une égalité entre les sexes (fonction expressive), et enfin, les auteurs présumés ont droit à un procès équitable et dans le respect du principe de légalité des délits et des peines (fonction protectrice). Pour les acteurs qui demandent la création législative du crime de féminicide, une incrimination spécifique contribuerait à exacerber la fonction expressive, puisque cette création serait le symbole d’un grand engagement de la société contre les violences faites aux femmes. A l’inverse, les acteurs qui s’opposent à cette incrimination estiment pour certains qu’elle pourrait porter atteinte à la fonction protectrice.
Ainsi, le droit pénal se doit de protéger les potentielles victimes en dissuadant les auteurs de passer à l’acte, et le cas échéant, punir ces auteurs, mais également leur assurer une justice équitable, dans laquelle l’arbitraire n’a pas sa place.