Ernestine Ronai,
Observatoire des violences envers les femmes du Département de la Seine-Saint-Denis
Fondatrice et responsable de l’Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis des violences envers les femmes, E. Ronai est aussi membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes depuis 2013 et co-préside la Commission Violences de genre. A ces titres, elle est entendue dans le cadre de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Avec le juge Edouard Durand (également intervenu pour la délégation), elle co-dirige « Violences conjugales : le droit d’être protégée » (Dunod, 2017). Iels coordonnent le diplôme universitaire sur les violences faites aux femmes de l’université Paris 8. Elle fut également psychologue scolaire, et coordinatrice nationale « violences faites aux femmes » de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) jusqu’en 2017.
Liens avec le féminicide : l’Observatoire
E. Ronai préside l’Observatoire des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis depuis sa création en 2002 par le Conseil départemental. Il se déclare pionnier dans son domaine. Il est régulièrement cité dans des travaux parlementaires, notamment pour son rôle dans la mise en place d’un « protocole féminicide » rédigé en 2013 et jugé innovant dans son approche collaborative « entre les services de santé, de la police, du parquet et du conseil départemental au travers de l’observatoire départemental des violences envers les femmes. »*
Il a par exemple inspiré la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF), en charge d’accompagner les collectivités territoriales souhaitant développer un Observatoire territorial des violences faites aux femmes. Elle a ainsi publié en 2016 un guide qui en présente les principes, objectifs et fonctionnement. Selon lui, l’Observatoire du 93, « en près de quinze ans d’existence, a multiplié les actions, renforçant ainsi fortement l’efficacité de la politique du département sur ce sujet. S’inspirant notamment de ce modèle, une dizaine d’initiatives semblables, à l’échelon départemental, régional ou communal, ont depuis été développées. Leur action permet d’améliorer sur leur territoire la connaissance quantitative et qualitative du phénomène, de renforcer le partenariat entre les différents acteurs et ainsi de mettre en place des dispositifs innovants permettant une meilleure prise en charge des femmes victimes de violences et, le cas échéant, de leurs enfants. » Le guide est « réalisé à partir de ces expériences et des enseignements qui en ont été dégagés (et) propose également des outils inspirés des bonnes pratiques développées par les Observatoires », citant aussi l’Allier, le Nord, les Pyrénées-Orientales et l’IDF.
Positionnement
-
E. Ronai est favorable à l’intégration du terme « féminicide » dans le code pénal*, sans circonstances aggravantes.**
-
favorable à l’entrée dans le droit du « protocole féminicide », également valable en cas d’homicides, « c’est-à-dire si une femme tue son conjoint », permettant une hospitalisation des enfants (voir dispositif ci-dessous).
Arguments utilisés
-
il s’agit d’un « combat symbolique » : le terme « homicide » ne permet pas de prendre conscience du fait que les victimes décèdent du fait de leur état de femme ;
-
cela permettrait de « rendre plus visibles les violences visant spécifiquement les femmes » ;
-
si le terme est utilisé dans la société aujourd’hui, « c’est parce qu’il y a besoin de rendre visible la domination des hommes sur les femmes d’une manière globale » ;
-
« Cela ne déresponsabilise pas (...) les agresseurs parce qu’il s’agit de penser pourquoi ces violences existent. »
-
« Employer ce terme va nous donner des moyens de prévention » car « Si nous identifions les causes, nous pourrons travailler sur la prévention ».
-
établit une symétrie : « homicide » pour les hommes et « féminicide » pour les femmes ;
-
ne demande pas de circonstances aggravantes car des hommes meurent aussi, bien qu’en faible proportion, et « il est tout aussi grave de tuer un homme que de tuer une femme ».
E. Ronai précise :
-
les meurtres de femmes et les meurtres d’hommes doivent être traités de manière identique car ielles sont équivalent.es tant moralement que légalement ;
-
il lui « semble difficile d’aller plus loin que l’arsenal en vigueur actuellement » ;
-
« D’autres leviers doivent être actionnés », tels que la formation de « davantage de magistrats, de policiers, de médecins ou de travailleurs sociaux » qui doivent notamment « mieux connaître, et mieux s’approprier l’arsenal pénal en vigueur ». E. Ronai insiste sur l’outil que représente l’ordonnance de protection (« mesure d’urgence permettant de protéger les victimes avant même qu’elles ne déposent officiellement plainte »), beaucoup moins prononcée en France qu’en Espagne d’après elle.
Ressources : des dispositifs de protection
Les outils produits et pilotés par l’Observatoire le sont en lien permanent avec des associations locales, tribunal, parquet, Ministères, organismes de sécurité et santé publique, partenaires privés :
-
dispositif expérimental « Féminicide » de protection des enfants, avec Ordonnance de Placement Provisoire en urgence
-
Téléphone Grave Danger
-
L’ordonnance de protection
-
Mesure d’accompagnement protégé des enfants, « lors des déplacements entre le domicile de la mère et le lieu d’exercice du droit de visite du père auteur de violences »
-
L’Espace de Rencontre Protégé entre les pères auteurs de violence dans le couple et leurs enfants, en protégeant aussi la mère victime
-
« Un toit pour elle » qui fluidifie l’hébergement spécialisé
-
Consultations de victimologie et psycho traumatologie
-
Les Bons taxis, dispositif de prise en charge de trajets du commissariat (dépôt de plainte pour violences) aux UMJ (Unités Médico Judiciaires).
Autres outils de prévention et protection :
-
En 2018, en partenariat avec l’Observatoire parisien de lutte contre les violences faites aux femmes et l’association En Avant Toute(s), l’Observatoire du 93 adapte à la France le violentomètre d’Amérique latine, un « outil d’auto-évaluation » qui a pour objectif de « repérer les comportements violents ». Il prend la forme d’un questionnaire de 23 questions brèves, hiérarchisées sur une échelle.
-
Fiche Penser le danger, les signaux d’alerte : une série de questions destinée « à tou·te·s les professionnel·le·s en lien avec des femmes victimes de violences » conjugales.
-
Guide d’aide à l’entretien avec des femmes victimes de violences, qui vise à diffuser les bonnes pratiques et à former les « professionnel-le-s ressources ».
Grenelle de lutte contre les violences faites aux femmes : Le 12 novembre 2019, l'Observatoire a organisé une consultation « Lutte contre les violences faites aux femmes : que veulent les professionnel·le·s ? » auprès de 582 acteurs. Les résultats sont notamment traduits en 6 mesures principales attendues, retenues parmi 20 proposées dans le sondage. « Faire entrer la notion de féminicide dans le code pénal » n’est pas retenue dans les attentes.
« Il ne s’agit plus seulement de dénombrer les victimes, mais de les nommer autrement. »
* Revue de la gendarmerie nationale, juin 2019, n°265 « Violences intrafamiliales : entre volonté et réalité », p.74, sous la direction scientifique de Jean-Marc Jaffré, en téléchargement ici