Les auteurs
Enjeux de l’introduction du féminicide dans le Code pénal pour les auteurs
Dans un soucis de compréhension, nous vous recommandons de lire d’abord les questions que soulève l’introduction d’une nouvelle incrimination dans le Code pénal avant de découvrir ses enjeux pour les auteurs
Débats sur l’arsenal
législatif existant
Comme évoqué dans les réflexions juridiques générales sur la potentielle création de l’incrimination du féminicide, le droit pénal remplit déjà sa fonction répressive à l’égard des auteurs de féminicides. C’est l'incrimination de meurtre qui est utilisée par les juges, celle de l’article 221-1 Code pénal : « Le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle. ». C’est donc le meurtre d’un être humain, d’un Homme avec une majuscule, qui est ici réprimé. A l’heure actuelle, selon l’article 132-80 du Code Pénal, une circonstance aggravante est constituée lorsque le crime est commis par « le conjoint, le concubin, ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas, ainsi que par le l’ancien conjoint, l’ancien concubin, ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité ». Cette circonstance aggravante s’applique aux tortures, actes de barbarie, violences, viols et autres agressions sexuelles, et enfin, au meurtre : elle semble donc recouvrir l’hypothèse du féminicide au sein du couple (ou couple séparé), dits « féminicides intimes », mais laisse de côté beaucoup d’autres cas, notamment les féminicides « non intimes » (voir typologie des féminicides). Il existe donc, parallèlement, une autre circonstance aggravante, introduite à l’article 132-77 du Code pénal, constituée quant à elle lorsque le crime a été commis « en raison du sexe », explicité ainsi : « Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé. » Autrement dit, le sexisme est désormais une circonstance aggravante des crimes et des délits. La circonstance aggravante en raison du caractère sexiste du crime résulte de l’intervention de la CNCDH qui rend un avis en 2016 dans lequel elle déclare être défavorable à l’introduction du terme « féminicide » dans le Code pénal, mais recommande la prise en charge de ce crime spécifique par une circonstance aggravante, ce que s’est concrétisé par l’article 171 de la loi Egalité et Citoyenneté.
« Lorsqu’un crime ou un délit est précédé, accompagné ou suivi de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature qui soit portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de son sexe, son orientation sexuelle ou identité de genre vraie ou supposée, soit établissent que les faits ont été commis contre la victime pour l’une de ces raisons, le maximum de la peine privative de liberté encourue est relevé. »
Article 132-77 du Code pénal
Or, ces deux circonstances aggravantes ne sont pas cumulables : ainsi, dans le cas où un homme tue son épouse parce qu’elle est femme, quelle circonstance aggravante doit être retenue ? C’est aux juges d’en décider : l’une ou l’autre, mais pas les deux. En effet, la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté précise explicitement que la circonstance aggravante fondée sur le sexe ne peut être appliquée « lorsque l’infraction est déjà aggravée soit parce qu’elle est commise par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à celle-ci par un pacte civil de solidarité, soit parce qu’elle est commise contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union » : cette impossibilité de cumul est regrettée par la CNCDH ainsi que par le Syndicat de la Magistrature. Ce regret est également exprimé dans le rapport de la Délégation aux droits femmes portant sur l’utilisation du terme féminicide : cette impossibilité empêche les juges de prendre en compte dans la peine qu’ils prononcent toutes les dimensions du crime.
Il faut tout de même noter que les peines réellement prononcées sont assez éloignés de celles prévues par le Code pénal, un rapport de l’Inspection Générale de la Justice sur les homicides conjugaux en 2015 et 2016 (pas seulement les féminicides), publié en 2019, relève que les peines de réclusion criminelle effectivement prononcées sont d’une durée moyenne de 17 ans, bien que la qualification d’homicide aggravé soit souvent retenue.
Pour le cas particulier de la France, le féminicide fait partie du droit, puisque le terme est intégré au Vocabulaire du droit et des sciences humaines, mais pour autant, il ne figure pas dans le Code pénal, il est donc impossible pour un tribunal de condamner au titre du féminicide (au mieux, l’auteur sera condamné pour meurtre, avec circonstance aggravante de sexisme ou de meurtre sur conjoint ou ex-conjoint) : c’est l’application du principe de légalité des délits et des peines. Ce sont donc ces incriminations existantes dans le droit pénal commun qui sont utilisées par certains organismes pour classifier les victimes. C’est notamment ce que fait la Délégation aux Victimes, qui relève trois qualifications pénales selon les cas : l’assassinat (qui requiert la préméditation), le meurtre, et les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Le terme féminicides n’est pas repris par la Délégation, qui préfère utiliser le terme de « morts violentes au sein du couple ». L’utilisation des incriminations existantes va dans le sens de plusieurs autres acteurs qui considèrent que l’arsenal législatif actuel suffit à punir les auteurs de ces crimes, notamment la circonstance aggravante pour les meurtres par conjoint ou ex-conjoint, ou pour les meurtres commis en raison du sexe de la victime. Ainsi, pour Clarisse Serre, une incrimination autonome serait redondante. Victoria Vanneau, historienne du droit, pense également que le droit existant est suffisant et satisfaisant pour punir les auteurs, et qu’il faut maintenant travailler sur la prévention de ces crimes. Elle rappelle que le droit a déjà, au cours des siècles derniers, tenté de créer des incriminations spécifiques pour punir le meurtre conjugal : notamment l’uxoricide sous l’Ancien Régime, qui désigne à la fois le meurtre de l’épouse par son mari, et celui du mari par son épouse, le premier étant puni plus sévèrement en raison de la supériorité physique et de son autorité. En revanche, le meurtre de l’épouse par son mari pouvait être pénalement excusé lorsque la victime avait commis un adultère. Après la révolution, le conjugicide succède à l’uxoricide, mais celui-ci n’apparaitra pas dans le Code pénal de 1810.
Pour Catherine le Magueresse en revanche, qui milite quant à elle en faveur de cette incrimination autonome du féminicide, cette circonstance aggravante ne vise que le sexisme, et ne permet donc pas de rendre compte du caractère quasi uniquement misogyne et systémique du phénomène. L’Union Nationale des Familles de Féminicides (UNFF) se prononce également en faveur de l'inscription du terme au Code pénal « en tant que crime machiste et systémique ». Elle propose d’étendre l’arsenal juridique du côté des auteurs, mais également du côté de la police : elle est pour la mise en place de sanctions envers les forces de l'ordre « manquant à leur devoir et ne prenant pas en compte la parole des femmes qui leur signalent des violences dans leur couple » ; demande la création de « foyers destinés aux hommes violents, où ils pourraient suivre des thérapies, possiblement à leurs frais » (Des structures de ce type se développent progressivement en France, comme par exemple le projet Altérité, mené par l’association ADDSEA dans le département du Doubs, ndlr); demande la mise en place d'une « surveillance sous bracelet électronique obligatoire des hommes faisant l'objet d'une mesure d'éloignement (ordonnance de protection des victimes) ; suspension de l'autorité parentale pour les conjoints violents, déchéance pour les meurtriers » en s'appuyant sur les propos d'ouverture du Grenelle tenus par Edouard Philippe, déclarant qu’un homme violent n’est pas un bon père. Actuellement, la peine complémentaire de retrait de l’autorité parentale n’est que très peu prononcée.
Quelles conditions
pour la répression ?
Quant à la fonction protectrice du droit pénal, elle implique que la loi doit être définie en termes suffisamment clair et précis, ce pour éviter toute interprétation de la part du juge, qui ne doit pas devenir une source du droit pénal, puisque la loi doit être seule créatrice du droit pénal. Or, il n’existe pas aujourd’hui de définition du féminicide qui soit universelle et partagée par tous les acteur.ice.s (voir page Définitions). De plus, une définition juridique, et à fortiori, une incrimination, doit obéir à des critères différents de ceux d’une définition courante, dans le but, une fois de plus, d’éviter tout jugement arbitraire.
Pour certains, le terme, comme il est souvent envisagé actuellement, c’est à dire « le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme », serait trop réducteur, ainsi, la diversité des situations et les variantes possibles à ce meurtre de femmes, dont certaines échappent « au caractère universel de l’expérience féminine de la violence masculine », comme l’expriment Clarisse Serre et Charles Euvrard dans leur article chez Dalloz Actualités, Non, le féminicide ne doit pas être pénalement qualifié. Ainsi le terme ne permettrait pas de recouvrir la multitude des possibles motifs derrière l’acte de meurtre.
Cela pourrait alors entraîner une certaine rupture dans la fonction protectrice, puisqu’un auteur pourrait être condamné à ce titre pour un crime dont la motivation était tout autre. L’enjeu réside donc dans la définition qui pourrait être adoptée par le droit, celle-ci devrait alors être détaillée et précise pour que l’existence du caractère misogyne du crime ne soit pas soumis à l’appréciation souveraine des juges. Pour cela, le plus évident est de lister plusieurs circonstances qui permettent de déduire ce caractère misogyne. C’est en effet la solution qui a été retenue notamment par le Mexique, dont l’article 325 du Code pénal mexicain incrimine « le fait de priver une femme de la vie pour des raisons de genre », et énumère ensuite une liste de 7 circonstances permettant d’établir le caractère misogyne d’un crime. L’exemple du Mexique est d’ailleurs repris par Catherine Le Magueresse dans son article Faut-il qualifier pénalement le féminicide ? (lors de notre entretien, elle évoque que le critère pertinent pourrait être celui de savoir si la victime a été “tuée comme un homme”, si oui, alors il s’agira d’un homicide “classique”, si non, d’un féminicide). La proposition de l’ONU Femmes France pour une pénalisation du féminicide est assez proche de la version mexicaine puisque l’organisation énumère une liste de circonstances permettant d’établir le féminicides :
« La peine encourue est également portée à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque le féminicide est commis :
1° Par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, ou par l’ancien conjoint, l’ancien concubin de la victime ou l’ancien partenaire ayant été lié à la victime par un pacte civil de solidarité ;
2° Contre une personne en raison de sa volonté de rompre la relation, de quelque nature qu’elle soit, qui la liait à la personne de l’auteur ;
3° Contre une personne afin de la contraindre à engager ou à poursuivre des relations sexuelles avec la personne de l’auteur, ou en raison de son refus d’engager ou de poursuivre de telles relations ;
4° Contre une personne en raison de l’engagement ou de la poursuite – réels ou supposés – par cette dernière de relations de nature sexuelle ou de toute autre nature avec une personne différente de celle de l’auteur ;
5° Contre une personne afin de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union, ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union ;
6° Contre le conjoint ou le concubin ou le partenaire lié à l’auteur par un pacte civil de solidarité, en raison de son refus de se soumettre aux directives données par l’auteur, dans quelque domaine que ce soit – hormis ceux visés aux 3° et 5° –, ou afin de le contraindre à se soumettre à de telles directives, que la relation liant l’auteur à la victime soit actuelle ou passée ;
7° Contre une personne en raison de son état de grossesse, apparent ou connu de son auteur ;
8° Contre une personne à raison de son identité de genre. »
Une définition stricte et stable est d’autant plus importante lorsque certaines actrices de la controverse propose d’accompagner la potentielle nouvelle incrimination d’une peine plus lourde que celle qui existe actuellement pour le meurtre. C’est le cas notamment de l’association Osez le Féminisme, à l’inverse, souhaiterait que
« l’existence de la notion de féminicide permette d’appliquer une condamnation plus lourde s’il est avéré que le meurtre répond à cette définition juridique ». Cette revendication n’est pas partagée par toutes les actrices de la controverse qui souhaitent inscrire le féminicide dans le Code pénal, à titre d’exemple, Ernestine Ronai, psychologue de formation, estime qu’« il s’agit d’un combat symbolique », symbolique au point qu’elle ne souhaite pas que le féminicide soit puni plus sévèrement que le meurtre « classique ». Elle affirme ainsi que le meurtre d’un homme et le meurtre d’une femme doivent être traités de la même manière, car ils sont équivalents légalement et moralement, même s’ils répondent à des logiques différentes.
Mais au delà du débat quant à la peine assortie à une cette hypothétique incrimination, le concept même de la répression pénale telle que l’on la connait aujourd’hui en France et dans beaucoup de pays du monde ne fait pas l’unanimité parfaite parmi les acteur.ice.s de la controverse : le courant abolitionniste s’oppose au système pénal et refuse donc logiquement la création de nouvelles catégories pénales. Selon Gwénola Ricordeau, chercheuse qui appartient à ce courant de pensée, l’un des effets de la lutte actuelle contre les violences conjugales est la criminalisation de davantage d’hommes, mais aussi de femmes, à cause du recours trop généralisé à la sphère pénale. Elle explique, en se basant notamment sur des études réalisées aux Etats-Unis (il ne semble pas exister à l’heure actuelle d’études similaires sur la France), que la pénalisation progressive des violences domestiques a parfois entraîné des politiques d’arrestations systématiques, notamment dans les familles issues des minorités, et que des femmes qui se défendaient contre un mari ou un conjoint violent ont également été concernées par ces arrestations. Elle ajoute que de nombreuses femmes ont aujourd’hui peur d’alerter la police sur les violences qu’elles subissent car elles craignent d’être criminalisées également, notamment lorsqu’elles sont en situation irrégulière : une expulsion du territoire pourrait être « un coût totalement disproportionné, par rapport à ce que la personne est en train de vivre.». Les travaux de Leigh Goodmark vont également dans ce sens, en décrivant une autre effet pernicieux, selon elle, de la criminalisation des violences conjugales : elle décrit les conséquences matérielles attachées à la criminalisation de l’homme violent, qui vont de la perte d’emploi à la perte de logement, et qui augmentent de fait l’état de précarité de leur foyer, or cette précarité serait elle-même un facteur de passage à l’acte dans les violences faites aux femmes : il y aurait là une sorte de cercle vicieux. Gwénola Ricordeau étend ce constat à un cercle bien plus large que les auteurs de violences eux-mêmes et considère que « davantage de criminalisation s’accompagne d’un coût social pour les familles, les communautés, les quartiers, etc ».
Le courant abolitionniste propose donc une justice différente, appelée « justice transformative », qui s’appuie non pas sur la responsabilité individuelle mais sur la responsabilité collective, qui existe à la fois dans la commission des faits mais aussi dans leur prise en charge. Cette justice transformative a pour objectif « d’entourer socialement la personne qui a commis des actes, créer des liens extrêmement forts autour de cette personne, pour la faire changer, pour prévenir la commission d’autres actes. » (propos de Gwénola Ricordeau).
Une nouvelle incrimination pour nommer une réalité différente ?
La définition commune du féminicide, celle formulée par Diana Russell en 1974, « le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme », contient en son sein le mobile de l’auteur lors de son passage à l’acte. La différence entre le féminicide et le meurtre tient à la raison pour laquelle l’auteur décide de mettre fin à la vie de sa victime, et ici, en raison de son identité de genre, son appartenance au sexe féminin et à ce que cela implique dans l’esprit de l’auteur du crime. Quelle que soit la rédaction d’une éventuelle incrimination du féminicide, on peut aisément imaginer que celle-ci contiendrait donc le mobile du crime, et que celui-ci serait son essence. Cela est relativement rare en droit pénal, mais existe néanmoins. Il s’agit là non seulement de catégoriser un acte en fonction de la nature de l’intention de l’auteur derrière celui-ci, mais également, pour l’Assemblée qui voterait la création d’une telle incrimination, d’affirmer très fortement sa volonté de lutte contre une violence misogyne systémique.
Enjeux psycho-sociaux
pour les auteurs
Catégorisation et « profils type »
Les recherches (D. Adam, 2007, Why Do They Kill? Men Who Murder Their Intimate Partners) montrent que le meurtre de femmes et de jeunes filles par des partenaires intimes ne résulte pas d'un hasard ou d’actes spontanés. Concernant les auteurs des féminicides, le noeud principal identifié porte sans doute sur les raisons ou le sens de ce passage à l’acte, sur ses potentielles conséquences en termes de risque de récidive, ainsi que la nature et le sens de la peine à arrêter.
Pour bien le comprendre, Sébastien Saetta revient en 2013 sur la structure de l’expertise psychiatrique, qui contient une partie biographique (données factuelles, nature de l’enfance – difficile, problématique, heureuse, normale, correcte – afin de repérer d’éventuelles carences affectives ou éducatives), une partie d’insertion sociale (qui cherche à savoir de quelle manière le justiciable s’est inséré dans la société), et enfin une partie contenant des éléments de personnalité.
Il montre ainsi que la reconstruction de l’histoire conjugale des auteurs par ces derniers met en évidence l’assignation récurrente des femmes à de mauvaises épouses, et des hommes à de bons maris et pères, sans distance critique des psychiatres à cet égard.
« Les experts vont (...) trouver dans le contexte, qu’il s’agisse de celui de l’histoire conjugale
ou de celui du crime, des éléments permettant d’expliquer le crime, de déresponsabiliser pénalement et moralement l’auteur et
de responsabiliser la victime. »
Sébastien Saetta, parlant de 3 cas de féminicides dont il analyse l’expertise psychiatrique
Son analyse permet également d’identifier deux catégorisations.
La première porte sur le type de crime, avec 4 idéaux-types :
-
le crime inexpliqué
-
le crime lié à la présence de troubles mentaux
-
le crime lié à l’histoire de l’individu ou à sa personnalité
-
le crime lié à des éléments de contexte (Il renvoie ici à la distinction de Laurent Mucchielli entre « les criminels d’occasion » et « les criminels d’habitude », qu’il qualifie de « fausse mais prégnante dans esprits et corps social »)
La seconde catégorisation porte sur le type de culpabilité,
avec 3 idéaux-types :
-
l’individu qui éprouve de la culpabilité
-
l’individu honteux qui minimise les faits
-
l’individu qui n’éprouve aucun sentiment de culpabilité
Cette typologie rejoint celle que reprend Anaïs Defosse, avocate spécialisée dans la défense des femmes victimes de violence qui intervient beaucoup en Seine-Saint-Denis et pour la Fondation des femmes. Elle catégorise les auteurs de violences en trois profils, qui ont pour point commun d’être égocentrés :
-
celui qui peut intégrer la loi (25-30% des auteurs, avec une capacité aux remords et une déception d'être passé à l'acte, il peut adhérer à un programme de soin, qui peut permettre l’absence de récidive)
-
celui qui ne prend pas la responsabilité de ses actes (50% des auteurs qui considèrent que la responsabilité incombe à la victime, et n’adhèrent de pas au travail de soin, les stages de responsabilité seront efficaces pour certains d’entre eux)
-
celui qui se sent supérieur à la loi (10-15% des auteurs, dont les « pervers narcissiques » abondamment médiatisés, qui n'intègrent pas la loi et ne se sentent responsables de rien, avec des troubles de la personnalité autour de la paranoïa et du narcissisme de l’ordre du psychiatrique. De sorte que pour ces derniers, aucun travail n'est possible, même si nombre de psychologues ou de professionnel.les de la loi ont du mal à l’admettre). Ce n'est pourtant ni une pathologie, ni une fatalité pour Anaïs Defosse, qui insiste sur le fait que la réponse à cette problématique se situe dans l'éducation.
-
Une étude récente sur les prisonniers masculins en Turquie, qui visait à identifier les caractéristiques psychosociales des auteurs de féminicides, n'a pas pu mettre au jour une psychopathologie spécifique qui pourrait leur être attribuée. Ces résultats soulignent l'importance de comprendre le féminicide comme un phénomène essentiellement sociétal, plutôt que comme un acte émanant de l'individu.
D’un point de vue plus factuel et statistique, la Délégation aux Victimes met en évidence un profil « type » des auteurs, en précisant que « l’auteur masculin est, le plus souvent, marié, français, âgé de 30 à 49 ans, et n’exerce pas ou plus d’activité professionnelle. Il commet ce crime à domicile, sans préméditation, majoritairement avec une arme blanche ou une arme à feu. Sa principale motivation demeure la dispute suivie de près par le refus de la séparation », là où « l’auteur féminin est, le plus souvent en concubinage, français, âgé de 60 à 69 ans, et n’exerce pas ou plus d’activité professionnelle. L’auteur féminin commet ce crime à domicile, sans préméditation, avec une arme blanche. La principale cause du passage à l’acte est la dispute au sein du couple ».
De quoi le féminicide
est-il l’expression ?
Le principal noeud concernant les auteurs des féminicides s’articule précisément autour du sens de ce passage à l’acte pour l’individu qui le commet, et il s’agit en somme de répondre à la question : de quoi le féminicide est-il l’expression pour les auteurs, au niveau tant individuel que collectif et social ?
Les positions à ce sujet divergent dans leur formulation ou le détail de leur contenu, mais semblent se rejoindre dans leur direction et leur sens global. C’est ainsi que Margot Giacinti considère le féminicide comme « l’expression d’un “droit de propriété” » selon le terme de Guillaumin en 1978, droit de propriété que les hommes exercent sur les femmes. Plus encore, elle inscrit le sens du féminicide dans le prolongement de celui du continuum des violences conugales lorsqu’elle écrit : « Bien qu’ayant un caractère définitif, l’assassinat d’une femme atteste ainsi de logiques similaires à d’autres violences, comme la réduction au silence, le contrôle et l’appropriation des femmes, de leur travail et de leur corps ». Le sens du féminicide pour celui qui le commet est donc compris ici dans sa composante sociale, dès lors qu’il s’enracine pour elle dans la « position de vulnérabilité structurelle » des femmes « appropriables, jusqu’à être “tuables” par les hommes ».
Cependant, cette analyse des féminicides sous l’angle des rapports de sexe est loin d’être systématiquement exprimée ou prise en compte par les experts chargés d’évaluer les motivations des auteurs.
Appropriation des femmes
Les rapports de sexe mis en cause chez les auteurs,
et chez les experts
De son côté, Sébastien Saetta remarque que les féminicides ne sont pour la plupart pas présentés comme des crimes liés au profil des individus ou à leur éventuels troubles de personnalité, mais comme liés à des circonstances, « les experts allant chercher dans l’histoire conjugale des couples, et dans les disputes précédant le passage à l’acte, des éléments permettant de l’expliquer ». Il indique très clairement s’étonner à cet égard « de ne pas voir les experts évoquer la dangerosité que les hommes sont globalement susceptibles de représenter pour les femmes, et de ne pas raisonner en termes de rapports sociaux de sexe ».
Il reste là encore très prudent dans sa formulation du fait du nombre réduit d’expertises psychiatriques sur lesquelles il base son analyse (3 cas en l'occurrence), mais suggère que « le crime pourrait être lié à l’emprise que ces trois hommes tentaient d’exercer sur leurs femmes », ce qui va là encore dans le sens d’une « interprétation en termes de genre ». On peut ici aussi noter que « des éléments, présents dans les différents récits, auraient pu par exemple être mobilisés dans l’explication du crime. La présence d’un amant, de certains traits de personnalité (psychorigidité, excès de jalousie, conformisme) ou le refus de la part de ces individus d’envisager ou d’accepter la séparation », ces traits de caractère des individus pouvant « soit-dit en passant être envisagés comme la manifestation d’une forme de socialisation masculine [mais ne le sont] à chaque fois [que] comme ayant seulement facilité les faits. Sans en donner l’air, les experts privilégient donc une certaine version du crime, qui tend, on l’a vu, à responsabiliser moralement la victime ».
L’analyse de Sébastien Saetta est ici doublement intéressante, en ce qu’elle permet d’identifier une position commune à plusieurs psychiatres en 2013, dont il remarque qu’ils sont tous des hommes, tout en soulignant leur point aveugle.
L’analyse plus récente d’Ivan Jablonka dans son livre Des hommes justes, paru en 2019, va d’ailleurs dans le même sens que les positions mentionnées ci-dessus, puisqu’il écrit p. 140 : « Le meurtre conjugal, le féminicide et le gendercide reposent sur l’idée que les femmes sont trop libres ou insuffisamment lucratives : le masculin y remédie par le crime, comme si elles mourraient de leur propre faute. Alors que les trafics sexuels visent à exploiter à fond le corps des femmes, le meurtre signe l’échec sanglant du patriarcat qui, d’ordinaire, oblige le féminin à se plier à la fonction-femme. C’est la raison pour laquelle la violence misogyne a été si longtemps tolérée, voire justifiée : conception extensive des “droits” du mari, blâme de la femme victime d’un viol, mansuétude à l’égard des pulsions “naturelles” de l’homme, etc. Le criminel est ainsi excusé. » On comprend mieux ici la raison du point aveugle soulignée par S. Saetta concernant les expertises psychiatriques, et surtout I. Jablonka va plus loin en affirmant que le féminicide correspondrait paradoxalement à un échec du patriarcat. Pour lui, le patriarcat est efficace en ce qu’il contraint et assigne les femmes à une position épistémique de « dominées » sans recourir à une violence aussi explicite. Il est donc en échec lorsqu’il doit tuer faute d’avoir réussi à faire plier le féminin à « la fonction-femme », par ailleurs bien explicitée par M. Giacinti.
« Peau-céder » le féminin
Les positions évoquées ci-dessus se situent plutôt du côté d’une explication ou d’un sens social du féminicide, mais comment comprendre le féminicide du point de vue de l’agresseur à un niveau individuel ? L’approche de la psychologue clinicienne Magali Ravit est éclairante sur ce point, puisqu’elle considère « les actes de violences commises envers les femmes comme des tentatives désespérées pour contenir et transformer la charge d’excitations traumatiques.
Le “féminicide” correspondrait à la mise à mort envieuse de la désirabilité de l’objet en réponse au risque d’envahissement par le pulsionnel ».
Magali Ravit précise que le passage à l’acte violent concerne « avant tout le féminin (repéré et plus « visiblement » incarné par la femme) qui recouvre à la fois ce qui est dévolu au « féminin pur » – qui fonde le sentiment d’être, en dehors de toute motion pulsionnelle – et ce qui relève du « féminin érotique » – qui lui inscrit l’identité sur la base d’une relation pulsionnelle impliquant la possibilité d’un plaisir partageable avec l’objet ».
Pour bien comprendre ce qu’elle entend dans des termes sans doute peu évocateurs pour un public non averti, il faut revenir dans un premier temps sur ce qu’elle nomme le « féminin pur », qui correspond selon D. W. Winicott (1971) à la fusion totale entre sujet et objet, dans un contexte de dépendance absolue qui permet « l’établissement du sentiment de soi » et la construction de « l’expérience de toute-puissance ». Plus encore, « le féminin pur dont parle D. W. Winnicott est la racine de l’identité et du sentiment d’existence à partir duquel se constituera l’expérience de la réflexivité et la capacité de développer un intérieur. C’est sur cette base que s’établiront les relations ultérieures », qui ne fonctionnent plus sur le mode de la fusion ou de l’union, mais de l’adaptation à une altérité où l’autre n’est plus seulement le même que moi, mais radicalement autre et différent. C’est dans ce cadre que M. Ravit écrit que le « meurtre du féminin, comme création identitaire maligne, correspond à la possession de l’objet et à la mise à mort envieuse de sa désirabilité ».
Autrement dit, elle rejoint la position de Margot Giacinti qui se plaçait elle d’un point de vue collectif et social avec une approche historique et sociologique, mais se situe d’un point de vue psychique et inter-personnel avec une approche clinique, en parlant de « peau-cession de l’autre ».
Mécanisme psychiques
pour les auteurs
Les mécanismes psychiques à l’œuvre pour les auteurs sont principalement décrits par Liliane Daligand (phénomène d’emprise et prise en charge thérapeutique), et par Annick Houel et Claude Tapia en termes psycho-sociaux. Leur position peut être résumée en trois éléments principaux :
Si Margot Giacinti souligne l’importance et l’intérêt de leurs travaux dans le champs de la psychologie sociale, elle insiste également sur une certaine tendance à la psychologisation selon elle, qui ne permet pas d’appréhender suffisamment selon elle la puissance des rapports sociaux de pouvoir.
L’emprise : pulsion ou relation ?
Du côté de l’auteur, l’emprise témoignerait d’un « effet de l’instinct de possession » selon Liliane Daligand, effet qui vise à dominer et disposer librement de son objet, quels que soient les moyens employés à cet effet (violence physique, sexuelle, psychologique…). L’enjeu est de dissocier la tête (emplie de pensées et de souvenirs des violences subies) du corps (inerte et inhibé).
Son analyse évoque la théorie de Freud, qui parle parle quant à lui de
« pulsion d’emprise », la pulsion désignant un mécanisme constitutif de la psychée comme « une poussée de vie qui fait tendre un organisme tout entier vers un but », soit l’expression irrépressible d’un besoin (qui peut concerner différents niveaux de satisfaction, des besoins physiologiques à ceux d’accomplissement, en passant par ceux de sécurité, d’appartenance et d’estime, selon la pyramide de Maslow). En ce sens, l’assouvissement de la pulsion d’emprise suppose de dominer, de s'approprier voire de « coloniser » la victime, par une occupation de son appareil psychique qui permet de s’en rendre maître.
Pour autant, si l’emprise apparaît comme un phénomène constitutif du continuum de violence dont le féminicide constituerait le point culminant selon la plupart des actrices de la controverse, elle pourrait rarement être un élément explicatif du féminicide selon Liliane Daligand, pour qui « à l’extrême, la pulsion d’emprise s’accorde avec la pulsion de mort et la destruction de l’objet. Parce qu’il est nécessaire de répéter la pulsion d’emprise pour l’assouvir, l’objet doit être conservé. C’est pourquoi il est rarement détruit ».
Cette notion de pulsion, qu’elle soit d’ordre sexuel ou de l’emprise et de la possession, est largement critiquée et rejetée dans son aspect intrinsèquement physiologique et inné par de nombreuses actrices féministes, à partir de l’asymétrie des violences de genre. De même, la destruction rare de l’objet d’emprise décrite par Liliane Daligand porterait sur une définition stricte du féminicide, mais n’inclue pas la question du suicide forcé.
Pour Roger Dorey, psychiatre et psychanalyste, l’emprise est comprise comme une relation, qui « traduit une tendance très fondamentale à la neutralisation du désir d’autrui, c’est-à-dire à la réduction de toute altérité, de toute différence, à l’abolition de toute spécificité ». Autrement dit, l’idée du désir propre de la victime, différent de celui de l’auteur, n’est pas tolérable.
Cette question de définition de l’emprise, constitutive du continuum de violence, soit comme pulsion, soit comme relation, a des implications énormes dans la manière de prévenir et de « réparer le féminicide » (soit en identifiant et en enfermant l’auteur à la pulsion pathologique, soit en travaillant avec l’auteur et avec la victime sur leurs rôles respectifs dans la mise en place et l’alimentation de cette relation d’emprise).
Dans cette deuxième perspective, Annick Houel et Claude Tapia soulignent que « la ressemblance entre auteurs et victimes est également frappante, et c’est surtout la terrible uniformité de l’ensemble qui ressort, avec un maître mot, l’emprise, qui est l’idéal et le cauchemar, la jouissance et la malédiction, sans espoir d’en réchapper, de ces criminels comme de leurs conjointes, auteurs et victimes confondues ». Elles rejoignent ici d’un point de vue criminologique l’analyse victimologique de Liliane Daligand, en pensant que les auteurs « n’ont pu accéder à une position authentiquement génitale, et donc au symbolique ».
Féminicide : passage à l’acte comme point culminant
du continuum de violences, à partir du « non appropriable »
Du point de vue des auteurs, l’approche pscycho-sociale d’Annick Houel et Claude Tapia inscrit également le féminicide dans un continuum de violences (« comme l’extrême de violences envers les femmes, mais sur un même continuum »), en le considérant comme un « point de non-retour de l’homme violent qui, dans le cadre conjugal, augmente la spirale de la violence pour se faire stopper ».
« On comprend là tout l’enjeu de la prévention de la récidive des violences conjugales qui éviterait à des hommes « simplement violents », si l’on ose dire, non seulement de le rester,
mais de devenir aussi des meurtriers. »
Annick Houel
L’hypothèse soutenue et celle d’une incapacité psychologique de concevoir certains événements impliquant une angoisse de perte qui peut être vécue comme une menace d’anéantissement, particulièrement dans le cas d’une séparation ou d’une déliaison, inconcevable en ce sens. Cette incapacité de concevoir et d’affronter une séparation s’enracinerait dans l’incapacité « d’effectuer le passage de l’illusion fusionnelle à une relation plus réaliste », au point de parler d’une « menace féminine » renvoyant à l’échec, chez ces hommes, du matricide imaginaire, donnant accès à une capacité de symbolisation et de maturation. D’où le concept de féminicide… ».
Le féminicide est donc compris ici en un double sens, comme le meurtre d’une femme par son ex-conjoint, et comme un passage à l’acte qui vise à accomplir un matricide imaginaire de l’ordre du symbolique, qui permet justement d’accéder à la capacité de symbolisation et de mûrir, et à la parole.
Cette approche rejoint celle de Valérie Moulin, experte en psychologie pathologique et criminologique, qui montre que le risque de passage à l’acte meurtrier est lié à une « vulnérabilité psychique », le sujet devenant dangereux précisément à l’endroit de sa vulnérabilité, et particulièrement à l’occasion de ce qu’elle nomme « événement », la manière dont cet événement affecte le sujet étant déterminante. C’est pourquoi la rupture va constituer un événement à risque élevé de passage à l’acte pour des hommes qui ne sont pas en mesure de l’intégrer, « soit parce cela répète un traumatisme infantile soit, ou aussi, parce que ce sont des hommes dont cette fragilité a justement fait qu’ils se sont toujours raccrochés, en guise de structure interne, à des stéréotypes de la virilité (et de la féminité) qui leur tenaient lieu de seul étayage psychique ». De ce point de vue, le passage à l’acte survient pour éviter une menace d’effondrement ou de catastrophe psychique, et serait alors de l’ordre de la surprise et de l’impulsivité, et non de la préméditation.
Magali Ravit formalise également le mécanisme à l’oeuvre dans le passage à l’acte pour les auteurs de féminicide, au sens clinique du terme, en des termes assez proches : «En tant qu’espace de dérivation externe du psychisme, la scène de violence est toujours à entendre comme une mise en résonance périphérique d’un intime non appropriable. Ceci me semble d’une importance primordiale dans la mesure où la prise en charge clinique et sociale des auteurs de violences, qui plus est dans le contexte de l’adolescence, est souvent empreinte d’une interprétation réduite à la notion de culpabilité et/ou d’empathie pour la/les victime(s). Car, nous venons de le souligner, la scène est porteuse d’un espace intime à lui-même non reconnaissable». L’enjeu psychique du féminicide pour l’auteur est là encore de l’ordre d’un élément non concevable, non appropriable, associé ici à l’absence de culpabilité et d’empathie du fait de l’incapacité à s’identifier et à se reconnaître dans l’autre.
Féminicide : du crime « pseudo-normal »
à la « psychopathologie sociale »
Il s’agit dans un second temps de statuer sur la portée du caractère pathologique des auteurs de féminicide, au carrefour de l’approche sociologique, dans laquelle le système patriarcal de domination serait en cause, et de l’approche psychologique et criminologique, dans laquelle les structures individuelles voire familiales sont principalement invoquées (recherche d’éléments de type œdipien…).
Là encore, l’approche pscycho-sociale d’Annick Houel et Claude Tapia est particulièrement éclairante. Elles considèrent en effet que « le crime passionnel est avant tout une histoire de famille, de famille où l’idée d’un destin individuel pour chacun ne signifie pas grand-chose, puisqu’à l’évidence, le destin, c’est de répéter un fonctionnement parental, voire ancestral. Une famille, en somme, où l’on fonctionne entre soi, ce qui ne fait qu’attiser les passions, les narcissismes et accroître les détresses ».
Ce positionnement, qui se situe entre les approches sociologiques et psychologiques, souligne les deux extrêmes psychopathologiques des profils des auteurs : la psychose franche, qui est rare ; et une certaine pseudo-normalité, fréquente et difficile à cerner, qui rend le crime difficile à prévenir. Entre ces deux extrêmes, ces actrices proposent de parler de « psychopathologie sociale », au cœur de la sphère familiale : auteurs et victimes sont ainsi « réduits à des positions extrêmement traditionnelles, à une virilité-mascarade et à une féminité maternaliste, en d’autres termes à une apparente pseudo-normalité. Mais, derrière cette apparence se profilent, dans tous les cas, des questions beaucoup plus archaïques, touchant à la filiation, à l’identité, avec des histoires d’inceste, ou au moins des relations familiales nettement incestuelles. L’attachement à un modèle social de mariage indissoluble est parfaitement congruent avec ces enjeux en toile de fond ».
En se basant sur une enquête de l’institut médico-légal de Paris mettant en évidence que les femmes victimes d’homicides ont été tuées pour 85 % d’entre elles par leur mari, partenaire ou intime proche (Coutanceau, 2006b), et sur la convergence de nombreuses données vers la dangerosité de la sphère familiale et conjugale pour les femmes, ces psychologues reprennent cette notion de «féminicide», même s’il est la plupart question de crime dit «passionnel» dans leurs travaux.
La prise en charge des auteurs
de féminicide
Au-delà de la condamnation pénale, la prise en charge psychologique des auteurs de féminicide suppose de travailler à la fois sur leur souffrance, les vulnérabilités à ayant conduit au passage à l’acte, mais également sur la conception problématique du lien, dépourvue d’empathie. L’enjeu est de la restaurer, et de parvenir à responsabiliser les auteurs, selon les typologies de plusieurs acteurs et actrices.